Déjà je savais qu'il avait les yeux bleus...
En ce temps-là je n'avais qu'une mauvaise copie de ce visage et pas la photo entière, telle qu'ici au-dessus. Je croyais que les traces affaissées sur la gauche du personnage, auprès du chapeau ne pouvaient être que des défauts de la reproduction, du cliché même et que la reprise agrandie par la photocopieuse que j'en avais fait, ne pouvait me montrer que des imperfections... des erreurs pour le voyeur.
Je ne pouvais deviner que c'étaient la réalité: les traces d'une peinture au loin, des feuillages et des branchages pendants.
Malgré tout pendant deux ans, tous les soirs je me suis acharné à vouloir les traduire dans un ton vert très foncé, presque noir. Tous les soirs j'ai mouillé ma gouache en me disant aujourd'hui c'est la bonne, j'avance, demain je passerai à autre chose...
Et tous les demains soirs qui revenaient je repartais en arrière en me disant que ce n'était pas possible qu'hier j'ai pu me tromper ainsi, ne pas avoir vu comme il fallait voir...
Je faisais pareil pour le visage et la peau et les ombres sous le chapeau, avec la prétention maladive de traduire en couleur les tons de gris différents de ces sortes de pixels d'imprimerie .
Un jour, exaspéré, j'ai passé une terre sur le fond et balayé tous les détails de l'expression...
J'avais senti que la folie me guettait.
Aujourd'hui mes petits pinceaux de martre attendent une improbable résurrection.
Mais voilà, n'est pas fils de dieu qui veut...