GIULIO MARCON
Peut-être ne s'en ne souviendra-t-on pas à cause des grandes foules
(plusieurs milliers cependant), mais le Forum Social Mondial au Mali est un
tournant dans la saison des mouvements sociaux mondiaux. Des mouvements
africains prêts à prendre la voie d'un nouveau panafricanisme pour libérer
le continent du néo libéralisme. Et des mouvements européens, un peu plus
conscients encore du polycentrisme de la planète. Evidemment, ce n'est pas
tant - ou seulement - le rôle de protagoniste des mouvement africains qui
émerge avec force, que les relations nouvelles qui sont en train de se
construire entre les mouvements du Nord et ceux du Sud (africains
évidemment) du monde, ainsi que les thèmes en débat : depuis celui de
l'immigration, à celui de la démocratie directe ( et celle de la politique
d'en bas), des biens communs, de la coopération internationale, du commerce
et de l'économie locale dans la globalisation. Un réseau de relations
faites de « dignités égales » sans la chape idéologique d'un tiers-mondisme
qui date, désormais, ou de la tutelle de certaines ONG toujours plus en
quête - même en Afrique- de leur propre survie économique.
Il s'agit de relations vraies, faites de positions et initiatives
radicales, mais sans cette déclinaison politicienne et, finalement, un peu
instrumentale qui s'était fait une place en d'autres occasions. Contre
les tentatives de réduction à un « sujet politique » (qui flottait à
l'ouverture avec la conférence inaugurale sur Bandung) le forum du Mali a
eu le mérite de défendre son identité et sa valeur la plus importante :
celle d'un « espace public » de la politique et de l'initiative des
mouvements sociaux, de développement d'un réseau, on pourrait dire
polycentrique - contre sa réduction à un « contrepouvoir » de structure,
d'organisation.
Et pourtant, il a une plus grande conscience de la nécessité d'une nouvelle
radicalité, non réductible à la mystique hypertrophique des documents ou à
l'individuation de leadership ou d'avant-gardes (à quoi s'est référé de
façon polémique - dans la discussion sur l'avenir des forums polycentriques
- Tawfiq Ben Abdallah, coordinateur du Social Forum Africano), conscience
faite d'alternatives concrètes, de pratiques à diffuser et à développer.
Pratiques du bas, luttes sociales, et politique vont ensemble. Et se
réalisent aussi sur un autre plan, celui de la cohabitation et de la
démocratie, comme ici au Mali où 12 groupes ethniques cohabitent sans se
faire la guerre, sauf rares exceptions, (quelque chose à apprendre, pour
l'Europe), où on tente de diffuser et distribuer le pouvoir (comme
l'enseigne le burkinabé Ki-Zerbo) dans un système de réseaux locaux et
sociaux, sans tomber dans ce que nous nous pourrions appeler dévolution ou
dans les pièges de l'état-nation, dont l'absolutisme porte avec lui,
guerres, violences, oppression des minorités, et a été imposé (avec des
conséquences dramatiques) à l'Afrique post-coloniale.
A Bamako, on a sans aucun doute respiré un air frais et nouveau : comme
celui des réseaux euro-africains sur les migrations (les européens, enfin,
discutent de l'immigration « depuis l'autre rive ») ou sur l'eau (avec une
déclaration commune importante) ou sur l'économie et la démocratie locale.
Une des nouveautés les plus évidentes est justement celle de la
construction d'un plan d'action commun sur l'immigration (la part la plus
riche peut-être du forum, avec la décision d'une journée internationale de
mobilisation), qui, vue de Bamako, semble ouvrir la voie d'une nouvelle
alliance entre les mouvements du Nord et du Sud, résolument inédite par
rapport au passé. Ainsi, le thème d'une nouvelle coopération internationale
a mis en évidence sa non réductibilité au « paternalisme caritatif »
(comme le disait le titre d'un séminaire) en vogue dans les institutions
internationales ou à une «protection humanitaire » des « effets
collatéraux » du néolibéralisme. Une coopération internationale fondée sur
l'action de la société civile africaine et non sur son « implementing
partner » de projets d'institutions internationales ou d'ONG occidentales.
Paraphrasant le Pasolini de « la terre vue de la lune », le monde (même
celui des mouvements sociaux) vu de l'Afrique de Bamako, retrouve la saveur
de ses racines et de ses contradictions les plus profondes sous l'éclairage
sinistre des scélératesses du vieux colonialisme et du nouveau libéralisme.
La marchandisation de la terre, de l'eau, de l'environnement, des relations
humaines devient paradigmatique en Afrique de la destruction des racines de
notre monde, de ce qu'il a été à l'origine et de ce qu'il pourrait être
dans l'avenir. En substance, l'avenir commun de toute l'humanité. Mais il y
a aussi cette lueur d'un espoir des mouvements et des communautés qui ont
construit en Afrique une nouvelle voie, qui peut nous aider nous aussi. Les
mouvements sociaux africains, d' « hôtes » des Forums, deviennent
protagonistes d'une nouvelle saison des mouvements sociaux mondiaux. Un
panafricanisme nouveau (pluriel, polycentrique, du bas) sera un de nos
espoirs (pour sauver aussi ce qui reste de bon dans notre Europe) et il
sera bien différent de celui des années 60. Mais il peut réussir si en
Europe aussi un nouvel européanisme social, démocratique, participatif
vient à s'affirmer. La balle passe maintenant à Athènes, où, du 4 au 7 mai
se tiendra le prochain Forum Social Européen.
Edition de mardi 24 janvier 2006 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/24-Gennaio-2006/art90.html
Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio
Je ne suis pas l'auteur de ce texte, ainsi ne m'en voulez pas si vous
trouvez qu'il est écrit par endroits en langage "intellopratique"!
Ces "travers" d'expression auquels je répugne à me soumettre sont souvent
le fait de narrateurs en manque de reconnaissance publique...
Ou simplement d'imagination...