Pendant longtemps je fus propriétaire d'un temple protestant, d'une bâtisse à vocation religieuse du moins à son origine, vu que dès l'instant où j'en devins acquéreur, il ne fut jamais question de la consacrer à autre chose qu'une fonction banalement utilitaire, comme hangar agricole au départ puis, selon les époques, comme bâtiment destiné à être habité dans tous les sens du terme possible...
Simple question d'imagination puis avec le temps passant, simple question d'argent et de la déception de n'en avoir pas assez pour concrétiser ces rêves.
Je vais vous raconter un peu de son histoire vu qu'à ce jour des racontars de bonnes sœurs courent encore sur son compte et qu'il est temps de les balayer par un petit air de vérité.
Il fut construit et terminé en 1871, pour rendre compte de l'existence d'une petite communauté pastorale protestante qui choisit par un vote démocratique de se consacrer à cette religion plutôt qu'à l'autre, la catholique qui n'accepta jamais ce choix fait après les révolutions populaires qui rasèrent une chapelle à peu près à l'endroit où fut construit le temple. On ne peut affirmer que le choix de l'emplacement fut un choix de revanche, j'estime moi que c'est l'occasion du terrain libre qui permit son édification, un terrain cédé à l'église par un de mes ascendants.
La famille Martell, des cognacs du même nom, participa, surtout madame, au financement de l'édifice, mais je ne sais dans quelles proportions. Sûrement des plus importantes.
C'est à cette époque que, selon mon père, on déterra une statuette de vierge en bois et que mon aïeul l'offrit au curé de la commune en lui disant que finalement elle serait mieux à sa place chez lui.
Quels braves gens ils étaient en ce temps là! Aujourd'hui on aurait couru chez l'antiquaire pour en tirer un bon prix!
Tout bien réfléchi, il eut mieux valu qu'il en fut ainsi ! Cela permit aux doctrinaires cathos de faire courir le bruit que tous les ans, vers le 15 Août, elle se mettait à pleurer dans la sacristie, que pour la calmer on ne voyait qu'une solution: la faire revenir sur le lieu de sa découverte, revenir chez elle... Chez ces foutus parpaillots!
Une vérité qui contredit le bruit répandu par les prêtres de la région qu'elle aurait été sauvée du désastre républicain par une bonne chrétienne qui l'aurait gardée dans son armoire pour la ressortir quand les temps seraient devenus plus propices!
C'est donc pour établir cette "révélation" que les cathos construisirent une horrible chapelle à quelques centaines de mètres de l'endroit, un truc sans allure surmonté d'une statue de bronze doré, sous laquelle ils organisèrent une procession tous les 15 Août, en faisant trimballer sur les épaules de leurs pénitents la relique qui pleurait. De joie ou de peine, personne ne l'a su... Sauf qu'un jour l'évêque d'Angoulême fut convié pour bénir la fontaine-lavoir municipale où les femmes du village allaient battre leur linge au savon de marseille et à genoux dans un coffre de bois... Aujourd'hui une pancarte signale que l'eau n'est plus potable !
Ils ont donc tenté le coup dit de "Soubirous" ou de "Fatima", mais ils l'ont raté... Dommage pour eux et tant mieux pour l'esprit de vérité et la véritable Pensée profonde.
Faut dire qu'ils avaient perdu pas mal de clientèle à cause du choix des habitants, mais l'essentiel de leur ressentiment était que la fête annuelle des protestants, fin Août ou début Septembre, attirait beaucoup de monde, protestants et catholiques confondus, ce qui ne pouvait que leur déplaire profondément.
Cette kermesse faisait la part belle à l'intellect et au culturel, contrairement à la dévotion "mobiliaire" catholique, on n'y adorait nulle statue de bois mais le goût du savoir était ici présent.
Après le "culte" du matin, les vrais mordus restaient pique-niquer sous le vieil hangar de mes parents, souvent des familles pauvres du sud-charente, et aussi des gens pour qui cela était comme un acte de foi. Certains étaient venus tôt réclamer la clef du temple à ma grand-mère, pour le balayer et arranger les bancs et que l'endroit soit accueillant...
L'après-midi était consacré à la kermesse proprement dite, c'est là que venaient les gens de toutes confessions pour se distraire, assister à une saynète ou deux jouée par des enfants (j'en fus), écouter un petit monologue culturel pointu donné par un prof de philo (René Godet), né au village et devenu célèbre plus tard pour avoir accompagné Théodore Monot dans ses pérégrinations africaines et se terminer en fanfare avec le concert de l'Harmonie de Rémi en mangeant les parts de tartes achetées au profit de la communauté.
Tout cela se déroulait dans le petit bois dit de chez "Chartier", qui appartint à la famille de l'épouse de l'actuel maire de Reignac.
Beaucoup de ces fameuses tartes avaient été confectionnées la veille dans le village, cuites dans le four de pierre de Raymond Rullier (grand-père disparu de l'actuel maire de Reignac !), qu'il n'allumait qu'à cette occasion et pour lequel ma présence était nécessaire !!! Comme elle avait été auparavant nécessaire à Yvette (la grand-mère) et aux autres femmes pour étendre la pâte sur les tôle, bâfrer les bouts de pâte qui débordaient et poser délicatement mais à toute vitesse les grains de raisin tout dorés des 3 fameux pieds de "Rayon d'Or" qui mûrissaient avant tous les autres et que seul Raymond possédait...
On me vendit ce bâtiment en 1974, vu que personne n'était plus là pour s'en occuper, que son entretien coûtait trop cher aux quelques fidèles restants et que comme il avait accompagné ma famille depuis toujours, il leur semblait normal que je le rachète...
Mais voilà... Je n'ai jamais fait fortune, en tout cas pas assez pour boucher les gouttières surtout que depuis la tempête de 1999, y'en avait de belles... J'avais aussi de grosses dettes envers la MSA pour avoir embauché un ouvrier de trop et avoir cru que mes affaires allaient se développer assez pour y pourvoir. Donc il est vendu depuis l'an passé!
Confession destinée à combler les vides de l'histoire... locale.