LE MOULIN DE l’AMOUR.
Le moulin jauni écoule ses longs attraits
Des figures de pierre remontent ses murs
Pareils à des dessins que le soleil ferait
D’en face, une eau paisible crie ses reflets durs!
La cantate rugit, normalement, en rouge
Les accords dissonnants aboient de longs émois...
Une harmonie vert clair entoure tout ce bouge:
Lueurs estivales et étendues de bois!
Et le béant rejette, défoncé, de l’eau
Noire et verte, à des reflets roussis. Les prés
Verdissent et jaunissent à la fois, la peau
Du bâtiment, le toit, d’horreurs sont préparés!
Le postiche royal, ironique et brutal,
Posé par l’homme et sa nature insouciante,
Draine un long dégoût, futur rendu infernal
A des yeux assoupis et aux normes conscientes!
L’intérieur abandonné, l’eau emplit son fond,
Cà et là, vestiges morts émergeant un peu:
Des blocs de pierre que les longs hivers refont
Poindre à nouveau et se craqueler sans passer au feu...
Le long d’un mur, un escalier descend, pourri
Soutenant à peine le poids des anges blonds.
Le courant incessant a rongé le lambris
Incolore, des fissures au loin s’en vont...
Alors, tout à coup, atrocement illusoire
Une créature misérablement sale
Debout au bas de l’escalier... On voudrait croire
A une rencontre totalement banale!
Habillée d’un gilet de laine rouge et gris
Dégoulinant de ses épaules décharnées,
D’un semblant de jupe bleu-noire et, rabougries
De savates montrant d’anciennes plaies carnées...
Son affreux visage d’où pendent salement
Des crins noircis de crasse, mi-courts, se recouvre
De vieilles démangeaisons, ses yeux étrangement
Fixeurs percent cette étendue morne et si pauvre...
Elle a le nez court d’une idiote, reniflant de vert
Des lèvres épaisses et craquelées d’ennui,
Un menton sans forme, enlunné comme un camembert,
Elle est petite dans une poitrine d’où rien ne fuit...
Là, les enluminures des murs
ressortent
Grâce au soleil s’infiltrant par l’unique creux
Que les vents firent... Et dont les poutres supportent
L’inlassable poids de son éternel flux lumineux.
La muraille s’est ainsi couverte de nébuleuses
Sous les rayons ardents, elles ressucitent nues!
Elles vont du noir au vert puis au roux, quasi peureuses
Mais du tachètement, les blanches sont plus crues!
L’eau fuyante clapote aux pieds de la pauvresse,
Elle est jeune, quinze au plus, elle soutient bas
Un petit sac de toile à hauteur de ses fesses
Plates. La crasse lui met aux jambes des bas!
On sent monter en elle un rat languissant
On sent grouiller son ventre de jeune habituée
Du malheur. Une frayeur déchire son sein blanc
Et dessine avec son corps des halos de buée...
La vue d’une présence détourne ses yeux
Prunelles où luit l’étoile noire du souvenir
Et des maigres anciens. Le crachat nébuleux
De ses paupières court, saute et s’en va mourir...
Et le soleil appuie de plus en plus ses tons
Actifs et audacieux. Et un rai jaunissant
Court et remonte sans cesse, clair avorton
Rassemblant ses désirs sur son ventre brûlant.
L’épaule va trembler quand le menton ricane!
Les chairs flagellent sous ces hardes de pauvrette,
Elle blémit, face contre face, à la lucarne
Qui reluit ses cheveux gras et ses creux de fossettes.
L’Immobile en haut des marches ébranlées
Regarde patiemment la pauvrette, pieds dans l’eau...
Cour de majordomes tous évanouis: l’Épanchée
Les craint et les admire pourtant... Il le faut!
Il aimerait peut-être lui saisir le flanc!
Dénuder ses seins et son ventre rongeur,
Dépouiller le noir, chercher ce qui reste de blanc
Et, pour un court moment, tenter l’amour songeur!
Il aimerait plus sûr ces nuits chaudes où, seuls,
Ils eurent vécu ces instants prématurés
Débarassés des écrasements et des vents qui gueulent...
Hélas et toujours, l’indompté s’offre à la curée...
La jeune enfant détourne alors ses noirs appats
Sa croupe maigre s’évapore et disparait. L’odeur
Râcle encore un peu, se dissipe et, pas à pas,
En longs reniflements verts et gris, elle fuit... Rancœur!