Al Gore dénonce l’effondrement des institutions démocratiques
états-uniennes.
" Ce même instinct visant à étendre le pouvoir et à établir une domination a
caractérisé les relations entre cette administration, les tribunaux et le
Congrès. Dans un système fonctionnant correctement, la branche judiciaire
servirait d’arbitre constitutionnel pour s’assurer que les branches du
gouvernement s’en tiennent à leur propre sphère d’autorité, respectent les
libertés civiles et adhèrent à l’État de droit.
La Cour suprême se ralie à l’exécutif!
Malheureusement, l’exécutif unilatéral s’est efforcé de saper la capacité
du judiciaire à jouer son rôle en tenant les différends hors de sa portée,
(notamment ceux qui remettaient en cause son droit à placer en détention
des individus sans jugement), en nommant des juges qui se montreraient
complaisants à l’égard de son exercice du pouvoir et de son soutien aux
atteintes à l’indépendance de la troisième branche.
La décision du président, par exemple, d’ignorer la loi FISA [1] était une
attaque frontale contre le pouvoir des juges qui siègent à cette cour. Le
Congrès a créé la cour FISA précisément pour qu’elle exerce un contrôle sur
le pouvoir exécutif.
Néanmoins, pour s’assurer que la cour ne fonctionne pas comme un garde-fou
vis-à-vis du pouvoir exécutif, le président n’a tout simplement pas amené
les dossiers devant elle. De plus, il n’a même pas informé la cour qu’elle
était contournée.
Les nominations judiciaires du président sont clairement effectuées de
manière à s’assurer que les tribunaux n’exercent pas de contrôle sur le
pouvoir exécutif. Comme nous l’avons tous appris, le juge Alito [2] a
soutenu de longue date un pouvoir exécutif fort, il est partisan du
soi-disant exécutif unitaire [3]. Que vous souteniez sa confirmation ou pas
– et je respecte le fait que certains des co-sponsors de cet événement le
fassent – mais quel que soit votre point de vue, nous devons nous accorder
sur le fait qu’il ne votera pas en tant que superviseur de l’expansion du
pouvoir exécutif. De la même façon, le président de la Cour suprême, le
juge Roberts [4] n’a pas caché sa déférence à l’égard de l’expansion du
pouvoir exécutif par son soutien à la soumission judiciaire aux décisions
des organes exécutifs.
Et l’administration a également soutenu l’assaut contre l’indépendance
judiciaire qui a été lancé principalement depuis le Congrès. Cet assaut
comprenait une menace de la majorité sénatoriale de changer définitivement
les règles pour ôter le droit de l’opposition à participer de manière
approfondie aux débats sur les nominations du président.
L’assaut s’est prolongé par des efforts législatifs visant à décimer la
compétence des tribunaux sur des questions allant de l’habeas corpus [5] au
serment d’allégeance.
En somme, l’administration a fait preuve de mépris à l’égard de l’organe
judiciaire et a cherché à éviter l’examen judiciaire de ses actions en
toutes occasions.
La corruption du Congrès:
Mais les dommages les plus importants sur notre structure constitutionnelle
ont été infligés à la branche législative.
Le déclin aigu du pouvoir et de l’autonomie parlementaires de ces dernières
années est presque aussi choquant que les efforts de l’exécutif pour
obtenir cette expansion massive de son pouvoir [6].
Je fus élu au Congrès en 1976. J’ai siégé sept ans à l’Assemblée, huit ans
au Sénat, présidé le Sénat huit années durant en tant que vice-président.
Avant cela, lorsque j’étais un jeune homme, j’ai vu le Congrès de près en
tant que fils de sénateur. Mon père fut élu au Congrès en 1938 – dix ans
avant ma naissance – et quitta le Sénat après que j’eus obtenu mon diplôme
d’université.
Le Congrès d’aujourd’hui est structurellement méconnaissable en comparaison
avec celui dans lequel mon père siègea.
Il y a de nombreux sénateurs et représentants distingués et brillants en
fonction aujourd’hui. Je suis honoré de les connaître et d’avoir travaillé
avec eux.
Mais la branche législative du gouvernement toute entière, sous sa
présidence actuelle, fonctionne actuellement comme si elle était
entièrement soumise à la branche exécutive.
Cela est incroyable à mes yeux et si étranger à ce que le Congrès est censé
être.
De plus, trop de membres de l’Assemblée et du Sénat se sentent obligés de
passer actuellement plus de temps non pas à débattre de manière raisonnée
sur les problèmes, mais plutôt à lever des fonds pour acheter des espaces
publicitaires télévisés de 30 secondes.
En outre, il y a à présent deux ou trois générations de parlementaires qui
ne savent pas vraiment ce qu’est une audition de contrôle.
Dans les années 70 et 80, les auditions de contrôle auxquelles mes
collègues et moi avons participé mettait la branche exécutive sur le grill
peu importe quel parti était au pouvoir.
Et malgré cela le contrôle parlementaire est pratiquement inconnu au
Congrès aujourd’hui.
Le rôle des commissions d’autorisation a décliné pour devenir insignifiant.
Les 13 lois de répartition des financements sont à peine votées en tant que
lois dorénavant. Souvent, le tout est emballé dans une seule et géante
mesure familière qui parfois n’est même pas proposée pour lecture au
Congrès avant qu’il ne la vote.
Les membres de l’opposition sont maintenant routinièrement exclus des
commissions de conférence et les amendements sont régulièrement refusés
lors des examens de loi en assemblée.
Au Sénat des États-Unis, qui se targuait jadis d’être le meilleur organe de
délibération au monde, les débats sensés sont dorénavant rares.
Même à la veille du vote crucial pour autoriser l’invasion de l’Irak, le
sénateur Robert Byrd [7]. posa la fameuse question « Pourquoi cette
assemblée est-elle vide ? ».
Dans la Chambre des représentants, ceux qui participent à une authentique
compétition électorale tous les deux ans se comptent généralement à moins
d’une douzaine sur 435.
Et trop de parlementaires en sont arrivés à croire que la clé pour avoir un
accès continu à l’argent pour être réélu est de rester du bon côté, de ceux
qui ont de l’argent à donner.
Par ailleurs, dans le cas du parti majoritaire, l’ensemble du processus est
largement contrôlé par le président en exercice et son organisation
politique. Ainsi la volonté du Congrès de défier la branche exécutive est
d’autant plus limitée lorsque le même parti contrôle à la fois le Congrès
et l’administration.
La branche exécutive a de temps à autres a co-opté le rôle du congrès. Et
trop souvent le Congrès a été le complice volontaire du renoncement à son
propre pouvoir.
Regardez, par exemple, le rôle parlementaire dans le contrôle de ce
programme d’écoutes massif s’étalant sur quatre ans qui, très
manifestement, semblait bafouer ouvertement la Bill of Rights [8]
Le président dit qu’il en a informé le Congrès. Ce que cela signifie
vraiment, c’est qu’il en a parlé au président et principaux membres de la
commission conjointe du renseignement et, parfois, aux dirigeants de
l’Assemblée et du Sénat.
Ce petit groupe, à son tour, affirme qu’on ne lui a pas présenté
l’intégralité des faits, en dépit du fait qu’au moins l’un des responsables
de la commission a écrit une lettre exprimant son inquiétude au
vice-président.
En outre, même si je comprends la position ambiguë et difficile dans
laquelle ces hommes et femmes ont été mis, je ne peux être en désaccord
avec la Liberty Coalition lorsqu’elle dit que démocrates comme républicains
du Congrès doivent partager la responsabilité de ne pas avoir agi
suffisamment pour protester et chercher à empêcher ce qu’elle considère
comme un programme manifestement anticonstitutionnel.
Beaucoup l’ont fait. De surcroît, dans l’ensemble du Congrès, à l’Assemblée
comme au Sénat, le rôle plus important de l’argent dans le processus de
réélection, ajouté au rôle sévèrement diminué du débat et de la
délibération raisonnés, a engendré une atmosphère propice à la corruption
institutionnalisée à laquelle certains sont devenus vulnérables.
Le scandale Abramoff [9] et la partie émergée d’un iceberg géant qui menace
l’intégrité de notre branche législative de gouvernement.
Et c’est l’état déplorable de notre système législatif qui explique
principalement l’échec de notre système de contrôle et d’équilibrage mutuel
des pouvoirs tant vanté à prévenir le dangereux accaparement par la branche
exécutive qui menace dorénavant de transformer radicalement le système
états-unien.
J’en appelle aux membres du Congrès des deux partis pour qu’ils honorent
leur serment et défendent la constitution. Cessez de suivre le mouvement
pour être dans le mouvement. Commencez à agir comme la branche indépendante
et égale du gouvernement états-unien que vous êtes censés être selon la
constitution de notre pays.
La responsabilité finale appartient au peuple!
Mais il reste encore un autre facteur. Il reste un facteur constitutionnel
dont les fautes doivent également être prises en compte et dont le rôle
doit être examiné pour pouvoir comprendre le déséquilibre qui a accompagné
ces efforts de la branche exécutive visant à dominer le système
constitutionnel.
Nous autres, le peuple, collectivement, sommes toujours l’élément clé pour
la survie de la démocratie états-unienne. Nous devons faire un retour sur
nous-mêmes. Ainsi que le disait Lincoln, même nous ici devons examiner
notre propre rôle en tant que citoyens dans l’acceptation et la
non-prévention de la décomposition insoutenable, de l’évidement et de la
dégradation de la démocratie états-unienne.
Il est temps de se lever pour le système états-unien que nous connaissons
et chérissons.
Il est temps d’insuffler une nouvelle vie dans la démocratie états-unienne.
Thomas Jefferson a dit « Une citoyenneté informée est la seule véritable
garantie pour la volonté du peuple. »
Les États-Unis sont basés sur la conviction que nous pouvons nous gouverner
par nous-mêmes et exercer le pouvoir de l’auto-gouvernance.
L’idée des États-Unis reposait sur le principe solide selon lequel le
pouvoir juste procède du consentement des gouvernés. Ce système compliqué
et finement équilibré, maintenant en grave danger, fut créé avec la
participation la plus totale et large de la population dans son ensemble.
Les Federalist Papers [10]. étaient, à leur époque, des essais
journalistiques largement lus. De plus ils ne représentaient qu’une seule
des 24 compilations qui peuplaient la place animée des idées sur laquelle
les fermiers et marchands récapitulaient les prolixes débats se déroulant à
Philadelphie.
Puis lorsque la Convention eut fait de son mieux, c’est le peuple dans ses
formes variées qui refusa de confirmer le résultat jusqu’à ce que, sous
leur insistance, le Bill of Rights soit déroulé intégralement dans les
documents soumis pour ratification.
Et c’est nous, le peuple, qui devons maintenant trouver de nouveau la
capacité que nous avions jadis à jouer un rôle entier pour sauver notre
constitution.
Et il est des raisons d’avoir à la fois de l’inquiétude et de grands
espoirs. L’âge des pamphlets et essais politiques imprimés a depuis
longtemps cédé la place à celui de la télévision, un medium distrayant et
absorbant qui semble déterminé à divertir plutôt qu’informer et éduquer.
L’appel mémorable de Lincoln durant la Guerre civile est maintenant
applicable d’une nouvelle façon à notre dilemme actuel : « Nous devons nous
réveiller de notre torpeur, » dit-il, « et ensuite nous devons sauver notre
pays. »
(à suivre)